L’association Autisme Limousin adresse une lettre ouverte à l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Nous réclamons l’ouverture des SESSAD d’intervention précoce à tous les jeunes enfants avec TSA, y compris au-délà de 4 ans.
Rappel des évènements
Depuis 2014, le Centre Expert Autisme du Limousin (CEAL) fournissait une prise en charge pour les jeunes enfants avec TSA entre 0 et 6 ans. Les résultats produits par le CEAL ne sont plus à démontrer, les enfants et les familles accompagnés se souviennent de son efficacité.
A partir de 2016 et suite à la réforme territoriale de l’Etat, les moyens attribués au CEAL ont commencé à diminué. Puis, en 2018, l’Agence Régional de Santé (ARS) annonce le projet d’y mettre fin et de le remplacer par d’autres structures. Un appel à projet est alors annoncé pour août 2018. Le collectif de sauvegarde du CEAL, qui deviendra par la suite Autisme Limousin, demande à participer au projet. Après des échanges peu fructueux, ce n’est que fin juillet qu’un document de travail sera enfin partagé par l’ARS. Cette communication tardive laissait moins d’un mois au collectif pour contribuer au projet.
Or, à cette date apparaît dans le projet de cahier des charges une clause inimaginable. Alors que le CEAL offrait une prise en charge aux jeunes enfants jusqu’à l’âge de 6 ans, les SESSAD ne seraient ouverts qu’aux enfants de 0 à 4 ans ! Ce n’est que suite aux retours et sur la demande de l’association que l’ARS a accepté d’élargir cette tranche d’âge aux enfants de 0 à 6 ans.
Mais tout en acceptant l’élargissement de la prise en charge, l’ARS ajoutait une condition sur l’âge d’admission. Les enfants pourraient être pris en charge jusqu’à 6 ans, mais uniquement s’ils sont admis avant 4 ans !! Cette condition d’admission ne sera communiquée à l’association que le 27 août 2018, jour même de la publication de l’appel à projet.
Dans un monde idéal, où tous les enfants seraient diagnostiqués avant 4 ans, ce système pourrait fonctionner. Dans le monde réel, où environ 50% des enfants avec TSA sont diagnostiqués après cet âge, cela revient à priver de prise en charge environ la moitié des enfants.
Cette décision est d’autant plus absurde que le même cahier des charges annonce l’ouverture d’un nombre de places théoriquement suffisant pour accueillir tous les jeunes enfants avec TSA de 0 à 6 ans du département. L’ARS s’est donc donné les moyens pour que les places attribuées ne soient pas remplies.
À la recherche d’une solution
A partir de la publication de l’appel à projet, le collectif de sauvegarde du CEAL devient l’association Autisme Limousin. L’association cherche alors des solutions pour faire changer les choses.
Malgré une requête auprès de Mme Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, et les alertes lancées auprès des médias, l’ARS refuse de modifier cette restriction.
L’association se rapproche alors d’un cabinet d’avocats pour porter un recours auprès de la justice.
Malheureusement, la cahier des charges lui-même est inattaquable auprès d’un tribunal, car il ne constitue pas une décision de l’administration. L’association ne peut alors qu’attendre les arrêtés d’attribution des places de SESSAD, et attaquer alors la clause abusive du cahier des charges via les décisions prises dans ces arrêtés.
Après 7 mois d’attente, ces arrêtés ont été publiés par l’ARS le 5 mars 2019 pour le département de la Haute-Vienne.
Vers une actions juridique
Le 24 avril 2019, grâce à de nombreux soutiens, nous avons porté notre action juridique auprès du Tribunal Administratif de Bordeaux. Vous pouvez retrouver sur notre site l’appel à soutien lancé pour porter cette action.
Le cahier des charges étant inattaquable en lui-même, le recours a été porté contre les arrêtés de création des SESSAD. Pour cela, nous avons été accusés de vouloir empêcher la création et le fonctionnement de ces structures, au détriment des enfants. Nous vous invitons à relire l’article où nous répondons à nos détracteurs.
Le recours a finalement pu être déposé par l’association Autisme Limousin, appuyé par trois familles directement concernés, ayant de jeunes enfants avec TSA entre 4 et 6 ans.
La démarche auprès du tribunal a été longue et semée d’embûches.
Une requête en référé pour gérer l’urgence
Nous avons d’abord déposé une requête en référé afin d’alerter sur l’urgence de la situation.
Malheureusement, le juge des référés n’a pas jugé notre demande recevable, au motif que la restriction d’âge n’apparaissait pas dans les arrêtés de création des places de SESSAD. Le contenu du cahier des charges n’a pas été étudié.
Le passage en référé a été rejeté dès le lendemain du dépôt du recours, en date du 25 avril 2019. Une telle rapidité dans le rejet de notre demande nous a grandement surpris. Et ce d’autant plus que notre recours contenait un argumentaire de 21 pages et 27 documents annexes.
Un second recours auprès du Conseil d’État
La demande de référé étant rejetée, il fallait désormais attendre un jugement sur le fond qui pouvait mettre plusieurs mois à arriver.
Devant la situation d’urgence qui risquait de laisser plusieurs enfants sans solution dès juillet 2019, nous avons fait appel de ce premier rejet. Un pourvoi auprès du Conseil d’État a donc été déposé le 10 mai 2019.
En date du 30 août 2019, le Conseil d’État nous informe que ce pourvoi n’est pas recevable pour des raisons qui nous échappent encore et qui ne sont pas explicitées dans la décision rendue.
Des échanges argumentés entre le tribunal, l’ARS et l’association
En septembre 2019, l’ARS transmet au tribunal sa ligne de défense contre notre recours.
Parmi les arguments avancés par l’ARS, il est expliqué que les enfants des familles impliquées dans le recours ont été acceptés dans les SESSAD alors qu’ils avaient plus de 4 ans au moment de leur admission.
Or, si deux de ces enfants ont en effet été acceptés dans les SESSAD, de façon très opportune d’ailleurs, et à titre dérogatoire comme il était très clairement écrit sur les documents reçus par les famille, il faut rappeler que le troisième enfant, qui a atteint les 6 ans entre temps, n’a pu bénéficier d’aucune prise en charge, ni au CEAL ni dans les SESSAD.
Dans tous les cas, il est intéressant de constater que du point de vue de l’ARS, le fait que la restriction n’ait pas été appliquée pour ceux deux enfants constitue un argument pour justifier la restriction elle-même.
A notre tour, en décembre 2019, nous transmettons un complément à notre argumentaire et une réponse à la défense de l’ARS.
Une longue attente … et la crise du Covid-19
Arrivés en 2020 et après déjà 9 mois de démarches, nous espérions une réponse du tribunal. C’était sans compter sur la situation sanitaire qui a mis à mal les conditions de travail de la justice. L’année 2020 s’est déroulée presque intégralement sans progression dans le dossier.
L’instruction s’est terminée le 24 février, puis l’audience a eu lieu … le 8 décembre.
Nous avons finalement reçu la décision du Tribunal le 29 décembre 2020.
Le Tribunal ne remet pas en cause le fond de notre demande
Le 29 décembre 2020 donc, après 20 mois de démarche, le Tribunal a rendu son verdict. Et malgré le rejet de notre requête, la décision du Tribunal ne rejette pas nos arguments de fond.
En effet, la demande est rejetée pour la même raison qu’avait été rejeté le référé : les arrêtés ne mentionnent pas la limite d’âge que nous contestons. Mais là où le référé ne donnait pas plus d’explications, le tribunal fournit plus détails, qui vont au final dans notre sens.
- Le tribunal estime que le cahier des charges ne constitue pas une base légale pour les arrêtés de création des SESSAD. Par extension, les arrêtés ne constituent pas une mesure de mise en application de ce cahier des charges. De ce fait, aucune base légale n’oblige les SESSAD à refuser l’admission des enfants de plus de 4 ans.
- Le tribunal indique ensuite que les arrêtés de création des SESSAD n’ont « ni pour objet ni pour effet de faire obstacle […] à la prise en charge des enfants âgés de 4 à 6 ans ».
- Le tribunal explique enfin que les arrêtés ne comportent aucune restriction concernant l’âge d’admission des enfants accueillis, et qu’ils ne sont donc pas constitutifs d’une rupture d’égalité. Par extension, on peut en déduire que si les arrêtés mentionnaient cette restriction, la rupture d’égalité serait avérée.
Lettre ouverte et extension aux autres départements
Depuis le début de notre démarche, des SESSAD d’intervention précoces auprès des jeunes enfants avec TSA ont également été créés en Creuse et en Corrèze. Nous reconnaissons là un progrès porté par l’ARS, avec une augmentation significative du nombre de places totales offertes dans ces services par rapport à la situation précédente, et une meilleure répartition territoriale de ces places.
Cependant, ces SESSAD souffrent de la même restriction concernant l’âge d’admission des enfants, alors qu’à l’instar de la Haute-Vienne, le nombre de places créées est censé couvrir l’ensemble des besoins du territoire pour les enfants TSA entre 0 et 6 ans.
Notre association demande donc à nouveau, comme cela a été fait à de multiples reprises depuis maintenant près de 3 ans, la suppression de cette restriction de l’âge d’admission et l’extension des places existantes dans les SESSAD aux enfants âgés de 4 à 6 ans au jour de leur admission, et ce pour l’ensemble des SESSAD de la Haute-Vienne, de la Creuse et de la Corrèze.
A cet effet, nous adressons à l’ARS Nouvelle-Aquitaine une lettre ouverte que vous pouvez trouver ici :